Le système d'appariement
Le système d’appariement social est la monogamie. De plus, la marmotte alpine peut être considérée comme une espèce despotique (sensu Vehrencamp 1983) : seul le couple d’individus dominants se reproduit, une suppression quasi totale de la reproduction des subordonnés des deux sexes étant observée (Arnold et Dittami 1997; Hackländer et al. 2003).
Systèmes
d’appariement social et
génétique diffèrent
cependant. Bien
que quelques cas de
polygynie aient été
observés (un cas en quatorze ans de suivi sur la population
de la Grande Sassière), le système
d’appariement génétique alternatif
à la monogamie est majoritairement
la polyandrie.
Arnold
(1990) fût le
premier à mettre en
évidence l’existence de paternité
hors-couple chez la marmotte alpine. Néanmoins, si cette
étude démontre clairement l’existence
de paternités hors-couple, les marqueurs allozymes
utilisés étant très peu variables
(Preleuthner et Pinsker 1993),
le taux de portées
concernées par les paternités hors-couple de 5%
ne peut nullement être regardé comme fiable.
Ainsi, Arnold et al. (1994) en utilisant des
DNA-fingerprinting
indiquent que 43% des portées contenaient un jeune issu de
paternités hors-couple et que 13% des jeunes
étaient issus de ces paternités. Puis, Goossens
et al. (1998), en utilisant un jeu de six
microsatellites,
confirmèrent, sur la population de la Grande
Sassière, que 37%
des portées contenaient un
jeune issu de paternités hors-couple et que 19,4% des jeunes
étaient issus de ces paternités.
Si
l’existence de reproduction hors-couple, maternité
et principalement paternité, est clairement
démontrée, l’identité des
individus s’engageant dans la reproduction hors-couple reste
une question ouverte.
Arnold (1990)
supposait une participation des
subordonnés du groupe familial, en particulier des
subordonnées apparentés au dominant de
même sexe, à la reproduction au sein de ce groupe.
Cette concession de reproduction de la part des individus dominants
inciteraient les subordonnés à rester, et donc
à participer à la thermorégulation
sociale. En effet, subordonnés mâles comme
subordonnées femelles sont fertiles comme
l’indiquent, chez les mâles, les taux
d’androgènes élevés (Arnold
et Dittami 1997) et, chez les femelles, les taux
d’oestradiol
importants et occasionnellement le commencement de grossesses
(Hackländer et al. 2003).
Durant la période
d’accouplement, le mâle dominant initie un plus
grand nombre d’interactions agonistiques avec les
subordonnés mâles, de même que, la
femelle dominante avec les subordonnées femelles durant la
période de gestation. Cette augmentation des interactions
agonistiques conduit, chez les subordonnés des deux sexes,
à une augmentation du taux de glucocorticoïdes et,
par conséquent, à la suppression des fonctions
reproductives (Arnold et Dittami 1997;
Hackländer et
al.
2003). Finalement, la compétition
entre mâles
dominants et subordonnés mâles et entre femelles
dominantes et subordonnées femelles est d’autant
plus forte que l’apparentement entre individus diminue :
l’individu dominant attaque plus fréquemment les
individus subordonnés de même sexe non
apparentées alors que les comportements amicaux sont
observés essentiellement entre l’individu dominant
et ses fils ou ses filles (Arnold et
Dittami 1997; Hackländer
et al. 2003).
Ces observations comportementales peuvent laisser penser
que la suppression de la reproduction est principalement
orienté vers les subordonnés non
apparentés (Arnold et Dittami
1997).
Néanmoins,
à la Sassière, les marqueurs microsatellites
indiquaient que seul 5,7% des portées et 2,2% des jeunes
avaient pour père un subordonné mâle
appartenant au groupe familial, subordonné mâle
par ailleurs pas forcément apparenté au
mâle dominant (Goossens et al. 1998).
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Reproduction et élevage des jeunes
La reproduction est annuelle. Le couple de dominants s’accouple dans les quinze premiers jours suivant la sortie d’hibernation. La période de réceptivité de la femelle serait limitée à 24h (une observation faite en jardin zoologique, Müller-Using 1957).Néanmoins, il n’est pas rare qu’une femelle saute une occasion de reproduction : seules 66% des femelles se reproduisent une année donnée (Arnold 1993). La gestation dure une trentaine de jours et la femelle met bas vers la fin du mois de mai. Les nouveau-nés altriciaux restent dans le terrier où ils sont allaités pendant une quarantaine de jours. Les marmottons sevrés émergent alors du terrier.
Les portées émergentes présentent de un à sept marmottons pour une moyenne de 4.11 ± 0.14 sur la population de la Grande Sassière (Allainé et al. 2000). Si le sex-ratio à l’échelle de la population est biaisé en faveur des mâles (Allainé et al. 2000), il existe également un biais à l’échelle de la portée. Dans la population de la Grande Sassière, les portées nées en absence de subordonnés mâles présentent un sex-ratio biaisé en faveur des mâles alors que les portées nées en présence de subordonnés mâles présentent un sex-ratio équilibré (Allainé 2004).

Bien
qu’en dehors de la femelle dominante, les autres membres du
groupe familial ne participent pas directement aux soins parentaux, la
marmotte alpine peut être considérée
comme une espèce
se reproduisant en coopération
(Blumstein et Armitage 1999).
En effet, les individus subordonnés
mâles aident à l'élevage des jeunes
au travers de leur participation à la surveillance du
territoire, mais également, au travers de
l’hibernation sociale. L’élevage
coopératif des jeunes pourrait expliquer le biais de
sex-ratio à l’émergence en faveur des
mâles, la survie juvénile augmentant avec la
présence de subordonnés mâles mais pas
avec la présence de subordonnées femelles
(Arnold
1993; Allainé et
al. 2000; Allainé 2004).
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L'infanticide
L’infanticide est loin d’être un événement exceptionnel. Ainsi, depuis 1990, sept infanticides ont été répertoriés sur le site de la Grande Sassière. Ces infanticides ont tous été perpétrés par un mâle suite à l’éviction du mâle dominant et à sa prise de contrôle du territoire (Perrin et al. 1994; Coulon et al. 1995; Hackländer et Arnold 1999).
Ce taux d’infanticide est probablement sous-estimé. En effet, seuls les infanticides sur des marmottons ayant émergé peuvent être mis en évidence avec certitude. Or, il est extrêmement rare de voir émerger une portée, lorsqu’un mâle prend possession d’un territoire tôt au cours de la période d’activité ce qui laisse penser à un infanticide dans le terrier de naissance ou à un blocage de la reproduction (Hackländer et Arnold 1999).
Bien que de nombreuses hypothèses aient été évoquées quant à la valeur adaptativedes infanticide, l’hypothèse de la sélection sexuelle semble la plus probable chez la marmotte alpine. Cette hypothèse indique que l’infanticide serait un moyen, pour le nouveau mâle dominant, d’assurer sa reproduction future. Si, l’induction rapide d’un nouvel oestrus ne peut être invoquée chez la marmotte alpine, l’oestrus étant annuel et ayant lieu tôt au printemps, le mâle pourrait néanmoins limiter l’investissement maternel et préserver ainsi le potentiel reproducteur futur de la femelle (Coulon et al. 1995; Hackländer et Arnold 1999).
Bibliographie
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