La dispersion natale

    La dispersion natale peut être définie comme le déplacement permanent d’un organisme de son site de naissance vers un site où il s’installera et se reproduira (Howard 1960). Chez la marmotte alpine, la reproduction passant par l’acquisition du statut dominant, la dispersion natale a donc pour but premier l’acquisition de ce statut : ce statut peut être acquis soit lorsque la place du dominant est laissée vacante suite à la mort de ce dernier, soit par l’éviction de l’individu dominant. Suite à son éviction, un individu dominant ne parvient que dans de très rares cas à redevenir dominant dans un autre territoire et meurt dans 99% des cas (Arnold 1990; Stephens et al. 2002).
   
    Les études menées sur la population de marmotte alpine de Berchtesgaden, Allemagne (Arnold 1990a; Frey-Roos 1998; Stephens et al. 2002; Grimm et al. 2003) et sur le site de la Grande Sassière (Magnolon 1999) montrent des patrons de dispersion semblables.
   
    Les deux sexes sont impliqués en proportion importante dans la dispersion natale : 91.5% des mâles et 80.0% des femelles s’engagent dans une phase de dispersion (Arnold 1993; Perrin 1993; Frey-Roos 1998; Magnolon 1999). Les subordonnés retardent leur dispersion au-delà de la maturité sexuelle (deux ans) et souvent jusqu’à trois, quatre et même cinq ans (Arnold 1990;1993; Perrin 1993; Frey-Roos 1998; Magnolon 1999) : respectivement 21.3% (35/164 individus), 72.2% (91/126 individus), 48.4% (15/31 individus), et 91.7% (11/12 individus) des individus de deux, trois, quatre et cinq ans dispersent (Grimm et al. 2003).
    Si 8.5% des mâles et 20.0% des femelles restent philopatriques et accèdent au statut de dominant en héritant leur territoire de naissance, 64.5% des mâles et 55.9% des femelles accèdent au statut de dominant : dans un territoire voisin (dans un rayon de 500 m de leur territoire de naissance) pour 25.6% des mâles et 21.1% des femelles et dans un territoire lointain pour 38.% des mâles et 34.8% des femelles (Frey-Roos 1998; Stephens et al. 2002).
    Bien que la majorité des dispersants acquiert le statut de dominant sur un territoire proche de leur territoire de naissance, la dispersion natale peut conduire les individus loin de leur lieu de naissance : un suivi par radiopistage indique des distances de dispersion supérieures à 10 km (Arnold 1993; Stephens et al. 2002). Le rayon d’action potentiel des dispersants reste donc à ce jour inconnu, mais excède probablement une dizaine de kilomètres.
   
    Malgré une similarité des patrons de dispersion chez les deux sexes, des différences sont à noter. Les mâles tendent à disperser en proportion plus importante que les femelles (p = 0.10, Arnold 1993).
    La proportion d’individus philopatriques est moins importante chez les mâles que chez les femelles (8.5% contre 20.0%). Les mâles dispersent plus tôt que les femelles (59.5% des mâles contre 31.5% des femelles dispersent à deux ans, p < 0.05, Magnolon 1999).
    Des différences entre les sexes ont également été établies quant aux causes de départ. Les mâles quittent leur groupe familial sous l’influence de facteurs endogènes, en particulier l’augmentation du niveau de testostérone circulante et voient leur probabilité de disperser doubler lors de l’arrivée d’un nouveau mâle dominant, alors que des facteurs exogènes, en particulier la nature des interactions avec la femelle dominante, provoquent le départ des femelles : les femelles ont une probabilité de disperser quatre fois supérieure si le mâle dominant leur est apparenté (Magnolon 1999)
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Le devenir des individus dispersants est incertain et contribue à faire de disperser une stratégie risquée (Frey-Roos 1998; Stephens et al. 2002). En effet, un individu dispersant voit sa probabilité de survie chuter en moyenne de 0.98 pour un mâle subordonné à 0.79 pour un mâle dispersant et de 0.97 pour une femelle subordonnée à 0.81 pour une femelle dispersante (Frey-Roos 1998; Stephens et al. 2002). Cette probabilité de survie décroît avec l’éloignement par rapport au territoire de naissance et, est quasi nulle pour un individu dispersant ne parvenant pas à s’établir sur un territoire durant la période d’activité et de fait hibernant seul (Arnold 1993; Stephens et al. 2002).


Bibliographie


Arnold W (1990) The evolution of marmot sociality: I. Why disperse late? Behavioral Ecology and Sociobiology 27, 229-237.

Arnold W (1993) Social evolution in marmots and the adaptive value of joint hibernation. Verhandlungen der Deutschen Zoologischen Gesellschaft 86, 79-93.

Frey-Roos F (1998) Geschlechtsspezifisches Abwanderungsmuster beim Alpenmurmeltier (Marmota marmota). Thèse de doctorat, Marburg. Philipps University, Germany.

Magnolon S (1999) Dispersion natale chez la Marmotte Alpine (Marmota marmota). Modalités et effets de quelques facteurs proximaux. Thèse de doctorat, Université de Tours, Tours, pp 160.

Perrin C (1993) Organisation socio-spatiale et distribution des activités chez la Marmotte Alpine (Marmota marmota Linné 1758). In. Université Denis Diderot, Paris.

Stephens PA, Frey-Roos F, Arnold W, Sutherland WJ (2002) Model complexity and population predictions: The Alpine Marmot as a case study. Journal of Animal Ecology 71, 343-361.



© Aurélie Cohas
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