Les conditions climatiques hivernales extrêmes imposent d’importantes contraintes aux espèces vivant en milieu montagnard. Face à ces contraintes, la marmotte alpine a développé une stratégie originale : l’hibernation. Le succès de l’hibernation dépendant du bilan énergétique entre énergie disponible et coûts engendrés. La marmotte alpine présente donc des stratégies adaptatives visant, d’une part, à accumuler des réserves énergétiques suffisantes et, d’autre part, à réduire les dépenses énergétiques liées à l’hibernation.

Acquérir des réserves énergétiques

    L’énergie nécessaire à l’hibernation est stockée sous forme de graisses dans les tissus adipeux blancs essentiellement. Afin d’accroître la valeur énergétique de ces réserves (Geiser et al. 1990; Florant 1998), le régime alimentaire, essentiellement herbivore, de la marmotte alpine privilégie les aliments riches en acides gras polyinsaturés. La marmotte alpine privilégie très fortement les dicotylédones qui représentent de 70 à 80% de son régime alimentaire en fonction du mois et du site (Bassabo et al. 1996). Parmi elles, sept familles sont privilégiées: Leguminosae, Compositae, Scrophulariacae, Cistaceae, Campanulaceae, Caryophillaceae et Crassulaceae (Bassano et al. 1996). En avril les racines sont préférées, en mai et juin récines, tiges et jeunes pousses prédominent et en juillet-août se sont les fleurs qui sont préférées (Bassano et al. 1996). Au niveau des espèces, Astralagus alpinus, Oxytropis, Achillea millefolium et Carlina acaulis sont principalement consommées. Parmi les monocotylédones, les familles prépondérantes sont les Graminae et les Cyperaceae et l'espèce majoritaire est Festuca ovina.

   
    Ces réserves atteignent un tiers de la masse corporelle d'un individu à son entrée en hibernation (Körtner et Heldmaier 1995).

Une stratégie coûteuse

    La phase d’hibernation d’environ 200 jours commence au début du mois d’octobre et se termine au début du mois d’avril. La durée exacte peut varier d’une année et d’un site à l’autre en fonction de l’enneigement (Arnold 1990) mais également d’un individu à l’autre, les mâles adultes émergeant plus tôt que les femelles et les juvéniles (Arnold 1988; Arnold 1993).

Phase d'hypothermie
Phase d'euthermie

    L’hibernation est caractérisée par de longues phases d’hypothermie (ou phase de sommeil) entrecoupées de courtes phases d’euthermie (ou phase de réveil).
    Durant les phases d’hypothermie, la température corporelle moyenne de 38°C à 40°C pendant la période d’activité peut descendre jusqu’à un minimum de 5°C (Arnold 1988; Cochet 1996). Le rythme cardiaque passe de 180 à 200 battements par minute, durant la période d’activité, à seulement 28 à 38 battements par minute pendant l’hibernation, de même la fréquence respiratoire diminue de 60 inspirations par minute à 1 à 2 inspirations par minute (Couturier 1963). Le métabolisme est extrêmement réduit et se limite pour l’essentiel à la thermogenèse, le processus de thermorégulation reprenant quand la température corporelle descend en dessous de 5°C (Arnold 1988).         Durant les phases d’euthermie, les animaux reviennent à des rythmes biologiques comparables à ceux de la période d’activité. Bien que représentant moins de 10% de l’hibernation, les phases d’euthermie sont responsables de 85 à 95% des dépenses énergétiques. En laboratoire, la durée et le nombre des phases d’euthermie varient considérablement : 9 à 15 réveils ont été observés pour une durée variant de 24 à 50h (Arnold 1988).

Rythme cardiaque (I) et rythme respiratoire (II) durant la période d'activité
Rythme cardiaque (I) et rythme respiratoire (II) durant un phase d'hypothermie

    Les coûts énergétiques de l’hibernation dépendent donc de trois facteurs : la durée d’hibernation, le métabolisme pendant l’hypothermie et, de la fréquence et longueur des phases d’euthermie.

Une stratégie coûteuse

    Durant l’hibernation, l’ensemble des membres d’un groupe familial se rassemble dans une chambre du terrier tapissée de foin: l’hibernaculum. Le nombre d’individus présents dans l’hibernaculum varie de deux individus (un couple de dominants) à une vingtaine d’individus. Seuls les individus non intégrés à un groupe social hibernent seuls, encore que des regroupements de deux à trois individus marginaux aient été observés à plusieurs reprises, regroupement prenant le plus souvent fin avec l’hibernation.

    Ce phénomène dénommé hibernation sociale est interprété comme une adaptation visant à réduire les coûts liés à l’hibernation. Elle permettrait une diminution des dépenses énergétiques : les animaux étant en contact les uns avec les autres, l’inertie thermique est augmentée et la conductance thermique est diminuée.
    Concernant la marmotte alpine, il a été démontré (i) que la diminution de la température ambiante dans l’hibernaculum est inversement corrélée au nombre d’individus présents (Arnold et al. 1991), (ii) que, pour une température ambiante identique, un individu hibernant en groupe présente une température corporelle inférieure à celle d’un individu hibernant seul (Arnold 1993), (iii) que la fréquence des phases d’euthermie chez un individu hibernant en groupe est inférieure à celle d’un individu hibernant seul, (iv) et enfin que les phases d’euthermie sont synchronisées chez les individus hibernant en groupe (Arnold 1988; Arnold 1993).
    L’augmentation du nombre d’individus hibernant ensemble conduit donc à une réduction des coûts énergétiques grâce à une augmentation de la température ambiante, une diminution de la température corporelle et de la fréquence des phases d’euthermie. La diminution de ces coûts énergétiques se traduit par une réduction des pertes de masse (Arnold 1993) mais également par une augmentation de la probabilité de survie des marmottons (Arnold 1990; Allainé et al. 2000; Grimm et al. 2003; Allainé et Theuriau 2004) comme des adultes (Arnold 1990b; Grimm et al. 2003) et donc, indirectement, par une augmentation du succès reproducteur des individus dominants.

    Si la relation entre augmentation de la taille du groupe hibernant et réduction des coûts liés à l’hibernation est clairement établie, la composition du groupe hibernant en termes de classe d’âge et de sexe semble également avoir des répercussions importantes.
    Les marmottons, du fait de leur masse corporelle faible et de leur réserves de graisse moins importantes, présentent une inertie thermique réduite. De plus, les marmottons se réveillent pendant un laps de temps plus court, entrent en phase d’euthermie en dernier et en sortent en premier (Arnold 1988). Ils profitent ainsi passivement de l’énergie dépensée par les individus adultes, phénomène dénommé thermorégulation sociale. Les marmottons sont donc les individus pour lesquels l’hibernation est la plus coûteuse, tant du point de vue individuel, que du point de vue du groupe. En effet, si l’hibernation sociale est un facteur crucial de la survie des marmottons (Arnold 1993; Allainé et al. 2000), la présence de marmottons représente un coût non négligeable pour les individus plus âgés qui subissent des pertes de poids plus importantes (Arnold 1990b;1993).
    Au contraire, l’augmentation du nombre de mâles adultes hibernant semble bénéficier au groupe. Plus particulièrement, une corrélation positive entre nombre de mâles adultes et survie des marmottons est observée (Arnold 1993; Allainé et al. 2000; Allainé et Theuriau 2004)
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En savoir plus sur l'hibernation sociale

Bibliographie


Allainé D, Brondex F, Graziani L, Coulon J, Till Bottraud I (2000) Male-biased sex ratio in litters of alpine marmots supports the helper repayment hypothesis. Behavioral Ecology 11, 507-514. Télécharger pdf

Allainé D, Theuriau F (2004) Is there an optimal number of helpers in alpine marmot family groups? Behavioral Ecology 15, 916-924.
Télécharger pdf

Arnold W (1988) Social thermoregulation during hibernation in alpine marmots (Marmota marmota). Journal of Comparative Physiology B: Biochemical, Systemic, and Environmental Physiology 158, 151-156.

Arnold W (1990) The evolution of marmot sociality: II. Costs and benefits of joint hibernation. Behavioral Ecology and Sociobiology 27, 239-246.

Arnold W (1993) Social evolution in marmots and the adaptive value of joint hibernation. Verhandlungen der Deutschen Zoologischen Gesellschaft 86, 79-93.

Cochet N (1996) Lipolyse et acides gras dans deux dépots adipeux blancs au cours du cycle saisonnier de la Marmotte Alpine (Marmota marmota). Thèse de doctorat, Université Claude Bernard, Lyon.

Couturier MAJ (1963) Contribution à l'étude du sommeil hibernal chez la marmotte des Alpes, Marmota m. marmota L. 1758. Mammalia 27, 455-482.

Florant GL (1998) Lipid metabolism in hibernators: The importance of essential fatty acids. American Zoologist 38, 331-340.

Geiser F, Hiebert SM, Kenagy GJ (1990) Torpor bout duration during the hibernation season of 2 sciurid rodents: Interrelations with temperature and metabolism. Physiological Zoology 63, 489-503.

Grimm V, Dorndorf N, Frey-Roos F, Wissel C, Wyszomirski T, Arnold W (2003) Modelling the role of social behavior in the persistence of the Alpine Marmot Marmota marmota. Oikos 102, 124-136.

Körtner G, Heldmaier G (1995) Body-weight cycles and energy-balance in the Alpine Marmot (Marmota marmota). Physiological Zoology 68, 149-163.




© Aurélie Cohas
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